Mots-clés : Charleroi, Région wallonne
A quoi tient la tranquillité de vos nuits… Un seul petit article modifié dans un décret de 1994, et le sommeil des riverains de Gosselies sera deux fois et demi plus perturbé. En ce mois de novembre 2007, le Parlement wallon a adopté un décret portant modification du décret du 23 juin 1994 relatif à la création et à l’exploitation des aéroports et aérodromes relevant de la Région wallonne. Ceci sur base d’une proposition déposée le 03 octobre par Messieurs Lebrun, Bayenet, Ficheroulle, Grommes et de Lamotte. De quoi s’agit-il ? Très pragmatiquement, de faire sauter un verrou… Celui du bruit nocturne légalement tolérable aux abords d’un aéroport diurne – Gosselies en l’occurrence. Mais pourquoi diable faire sauter ce verrou, direz-vous ? Tout simplement pour permettre le développement de l’aéroport – ceci, bien entendu « sans porter atteinte aux dispositions qui assurent la protection des riverains » comme spécifié dans le développement de la proposition de décret. Une situation intolérable…
Jusqu’à présent, un « quota de bruit » était toléré durant la nuit au Brussels South Charleroi Airport (prononcez brusselle soute Charleroi ère porte : vous serez à la fois branché et ancré dans le terroir….) Il s’agissait du bruit généré par les avions basés à Gosselies (en pratique, 4 avions de la société Ryanair) rentrant tardivement au bercail pour des raisons non imputables à l’exploitant de l’aéronef. Ce quota était limité à 900 points annuels pour l’aéroport, les points étant proportionnels aux niveaux sonores des avions. Chaque avion Ryanair basé bénéficiait donc en théorie de 900/4 = 225 point de bruit annuels. Las ! Ce système risquait de brider un développement des activités à l’aéroport. En effet, baser plus d’avions à Gosselies revenait, dans ces conditions, à diminuer les parts du « gâteau de bruit » pour chacun. Techniquement, la nouvelle aérogare (qui entrera en service début 2008) permettra la présence de dix avions basés. Chacun n’aurait donc plus eu droit qu’à 900/10 = 90 point de bruit annuel (en supposant que la partage soit équitable). Une fois épuisé ce quota, les arrivées tardives se seraient produites en infraction et auraient donc entraîné le paiement de pénalités. La poudre aux yeux
Il fallait donc porter remède à cette situation intolérable. La solution était toute simple : attribuer les « points de bruit » non plus à l’aéroport mais aux avions basés, en conservant les 225 point annuels correspondant à un quota de 900 points pour un aéroport accueillant 4 avions basés. Le décret adopté par le Parlement traduit cela en points par jour, chaque avion basé ayant dorénavant droit à 0,616 point par jour (225/365 = 0,616). Dix avions basés pourront donc générer 10 fois 0,616 fois 365 = 2250 points de bruit par an. Soit deux fois et demi plus qu’avant. Encore fallait-il faire passer cette pilule. Même si « le développement aéroportuaire constitue sans conteste un motif d’intérêt général justifiant la diminution des garanties des riverains » (voir le développement de la proposition de décret). Même si, par ailleurs, « les riverains ont évolué en identifiant qu’il y avait un intérêt général et des intérêts particuliers » (dixit le député M. Lebrun : voir le rapport du 08 novembre 2007). Même si, dans la même veine, « nous pouvons compter sur un front extrêmement calme avec les riverains » (dixit le Ministre Antoine, voir le compte-rendu analytique de séance publique de Commission). C’est ici que prend place l’astuce suprême : les points de bruit seront proportionnels à l’heure d’arrivée. On pénalisera donc « les mouvements d’avions qui sont les plus nuisibles, les plus dérangeants pour les riverains, c’est-à-dire ceux qui interviennent au milieu de la nuit ». Ainsi, tant qu’à présent, un Boeing 737-800, dont le niveau sonore en approche est de l’ordre de 96,5 db (voir http://noisedb.stac.aviation-civile.gouv.fr/find.php) se voyait attribuer un nombre de points de bruit égal à 1,778 - et ceci quelle que soit l’heure d’arrivée. A présent, ce nombre de points sera de : Magnifique, a priori. Sauf que… c’est précisément dans les tranches horaires les moins pénalisées que se font, par définition, la majorité des atterrissages en retard, particulièrement pour un aéroport comme celui de Gosselies dédié à des sociétés low-cost opérant sur de courtes distances. Le Conseil d’Etat ne se prononce pas
Saisi, début octobre, d’une demande d’avis sur la proposition de décret, le Conseil d’Etat a juste pris acte des explications visant à établir que les modifications apportées par le nouveau décret sont compatibles avec les articles 22 et 23 de la Constitution et avec l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Mais le Conseil d’Etat a estimé ne pas pouvoir se prononcer de manière tranchée sur la pertinence de ces explications (voir l’avis du Conseil d’Etat). La quadrature du ciel ?
Le décret adopté s’inscrit dans la logique d’une politique de développement du transport aérien en Région wallonne, initiée au début des années 1990. Ceci n’est pas sans incidences immédiates sur la quiétude des riverains, qui ont également à subir les effets directs de la pollution locale. Au-delà de ces incidences locales, en ces temps de grande inquiétude face aux menaces environnementales (changements climatiques en tête) et de renchérissement du pétrole, il serait peut-être bon de s’interroger également sur la pérennité de ce mode de transport. D’une part, l’énergie qu’il utilise est à 100% issue du pétrole. D’autre part, en Wallonie, les émissions de gaz à effet de serre de ce secteur ont été multipliées par 78 entre 1990 et 2005 (voir le rapport analytique sur l’état de l’environnement wallon 2006-2007, page 93). Vouloir développer ce secteur d’activités tout en maîtrisant les émissions de gaz à effet de serre de la Région, en réduisant notre dépendance énergétique et en protégeant les riverains s’apparente fort à vouloir résoudre le problème de la quadrature du cercle… C’est pourquoi, selon l’analyse de notre fédération, il est plus que jamais nécessaire de mener une réflexion en profondeur sur la nécessité de poursuivre la politique de développement du transport aérien initiée il y a une quinzaine d’années. Une telle réflexion s’inscrirait parfaitement dans la ligne définie le 24 septembre de cette année par Monsieur Ban Ki-moon, secrétaire général des Nations Unies : « Le défi sans précédent des changements climatiques appelle une réponse sans précédent. Et exige un sens des responsabilités sans précédent. Le sens des responsabilités qu’il faut pour fixer des orientations nouvelles ». Last minute
Au cours d’une conférence de presse, Ryanair annonçait ce 11 décembre 2007 qu’un cinquième avion serait basé à Gosselies à partir de mars 2008... Voilà donc un décret qui tombait bien ! Les candidats au bruit nocturne ont intérêt à faire diligence s’ils veulent faire face à l’offensive du patron irlandais.
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