Mots-clés : La conférence de Bali
Lorsque vous alertez les gens sur les dangers du changement climatique, on vous prend pour un Saint. Lorsque vous expliquez ce qu’il est nécessaire de faire pour l’éviter, ils vous traîtent de communiste [NdT : ou plus souvent de doux dingue]. Voyez plutôt.
Il existe dorénavant un très large consensus scientifique sur la nécessité d’empêcher la température de s’élever de plus de 2°C au-dessus du niveau pré-industriel [NdT : Nous sommes déjà 0,8°C au-dessus de ce niveau et cela augmente, à présent, de 0,2°C par décennie]. Passé cette limite, la fonte de la couverture de glace du Groenland se fera irréversible, certains écosystèmes s’effondreront, des milliards de gens manqueront d’eau, et les sécheresses commenceront à menacer l’approvisionnement alimentaire global(1,2).
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Par George MONBIOT, Publié dans le GUARDIAN du 4 décembre 2007
Traduit de l’anglais par Réginald de POTESTA de WALEFFE - info@velorution.be -
Original accessible ici. |
Le gouvernement [britannique]propose de réduire les émissions de carbone de 60% pour 2050. Cet objectif est basé sur un rapport publié en 2000(3). Ce rapport était basé sur une estimation publiée en 1995 elle-même dérivée d’un article scientifique publié quelques années plus tôt. En clair, la conduite du Royaume-Uni est basée sur des articles de 15 ans d’âge. Nos objectifs, qui sont parmi les plus stricts du monde, n’ont aucune relation avec la réalité scientifique actuelle.
Sur la dernière quinzaine, tant Gordon BROWN [NdT : Nouveau Premier Ministre du R.-U.] que son conseiller Sir Nicholas STERN ont proposé d’élever les réductions à 80%(4,5). D’où vient ce calcul ? Le dernier sommet du G8 s’est arrêté sur une réduction au niveau mondial de 50% pour 2050, ceci induit pour le Royaume-Uni de porter son effort à 80%. Mais l’objectif du G8 n’est pas plus en relation que ça avec la science actuelle.
Dans le nouveau résumé publié par le Groupe Intergouvernemental d’Experts sur le Climat (GIEC), on trouve un tableau qui associe les températures attendues à différents niveaux de réductions(6). Pour éviter un réchauffement global de 2°C, il suggère que le monde eut réduit pour 2050 ses émissions à un niveau qui correspond à environ 15% du total des émissions en 2000.
J’ai retrouvé les chiffres de production de dioxyde de carbone en 2000(7) et les ai divisé par la population actuelle(8). Ceci donne une base de calcul de 3,58 tonnes de CO2 par personne. Une réduction de 85% signifie que (si la population reste constante) la production globale par tête devrait être réduite à 0,537 tonne pour 2050. Actuellement, le Royaume-Uni produit 9,6 tonnes par tête et les États-Unis 23,6 tonnes(9,10) [NDT :Et la Belgique 12 tonnes par habitant (pour info, un aller-retour BXL-New-York (12.000 km) compte au moins pour 3 tonnes de CO2 par personne, et ce, sans compter l’effet radiatif multiplicateur (fois 5) des émissions à très haute altitude)]. Réduire ces montants à 0,537 tonne signifie une réduction de 94,4% pour le Royaume-Uni et 97,7% aux Etats-Unis [NdT : 95,5% pour la Belgique]. Mais la population va croître dans la même période. Si nous considérons une population de 9 milliards en 2050(11), les réductions grimpent à 95,9% pour la G.-B. et à 98,3% pour les U.S.A [NdT : 97% pour la Belgique].
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Les calculs du GIEC pourraient eux aussi être dépassés. Dans une note de bas de page sous le tableau, le panel admet que les “réductions d’émissions … pourraient être sous-estimées dû à la disparition de réactions du cycle du carbone”. Ceci signifie que l’impact de la réponse de la biosphère sur le réchauffement climatique n’a pas été complètement considéré. Ainsi par exemple, lorsque l’eau de mer se réchauffe, elle relache du dioxyde de carbone. Lorsque les bactéries du sol sont chauffées, elles respirent plus et générent plus de CO2. Quand la température monte, la forêt tropicale se meurt, relachant le carbone qu’elle contient [NdT : Quand la banquise fond, l’albédo de l’Océan Arctique passe de 90% à 10%, plus la banquise fond, plus l’Océan se réchauffe, etc.]. Ces exemples sont des rétroactions positives. Un article récent (toutes les références sur mon site web http://www.monbiot.com) estime que ces rétroactions comptent pour 18% dans le réchauffement global(12). Celles-ci devraient s’intensifier.
Un article du Geophysical Research Letters établit que même avec une réduction globale de 90% en 2050, le seuil des 2°C “est en fin de compte dépassé” (13). Stabiliser les températures à 1,5°C au dessus du niveau pré-industriel requiert une réduction globale de 100%. Les diplomates qui ont commencé les pourparlers à Bali hier devraient discuter d’une complète décarbonisation de l’économie globale.
Cela n’est pas impossible. Dans un article précédent, j’ai montré comment en reportant toute l’économie sur l’éctricité et par la mise en place des dernières inventions sur les réseaux électriques régionaux, leur équilibrage et le stockage de l’énergie, vous pourriez faire tourner l’ensemble du système énergétique sur les énergies renouvelables(14). Avec pour exception majeure l’aéronautique (n’espérez pas voir des avions de ligne sur batteries) ce qui suppose que nous devrions fermer plutôt que d’ouvrir de nouvelles pistes.
Ceci pourrait compter pour 90% des réductions nécessaires. Une décarbonisation totale exige que nous allions plus loin. Éviter 2°C de réchauffement signifie extraire le dioxyde de carbone de l’air. La technologie nécessaire existe déjà(15) : le défi est de le faire efficacement et bon marché. L’année dernière Joshuah STOLAROFF, qui a écrit une thèse sur le sujet, m’a fait parvenir quelques projections de coûts, de 256 à 458 £ [NdT : de 380 à 677 EUR] par tonne de carbone(16,17). Ceci fait de la capture du CO2 dans l’air une opération environ trois fois aussi chère que les dépenses du gouvernement britannique pour la construction d’éoliennes, deux fois plus chère que l’énergie nucléaire, légèrement moins chère que l’énergie marémotrice et 8 fois moins chère que des panneaux solaires sur les toîts du Royaume-Uni(18). Mais je soupçonne que ses chiffres soient sousestimés puisqu’ils suggèrent que cette méthode est moins chère que de capter le CO2 depuis les centrales électriques qui prévoient de le faire à la source(19), ce qui ne peut être vrai(20).
Le Protocole de Kyoto, pour lequel Bali discute d’une suite, a échoué. Depuis sa signature, on a connu une accélération globale des émissions : le taux de production de CO2 [NdT : +3% par an depuis 2000] dépasse les pires hypothèses du GIEC et croît maintenant plus vite que jamais depuis le début de la révolution industrielle(21). Ça n’est pas seulement la Chine. Un article dans Proceedings of the National Academy of Sciences établit “qu’aucune région ne décarbonise son approvisionnement énergétique »(22). Même la traditionnelle tendance à la décroissance de l’intensité énergétique des économies matures est contredite(23). Au Royaume-Uni, il y a un gouffre ahurissant entre la politique climatique du gouvernement et la réalité sur le terrain. Comment pourrions-nous même réussir une réduction de 60% si nous construisons de nouvelles centrales à charbon, de nouvelles routes et de nouvelles pistes à Heathrow ? [NdT : Aéroport de Londres]
Souligner le problème immédiat est plus grand encore. Dans une présentation à la Royal Academy of Engineering en mai, le Professeur Rod Smith de l’Imperial College a expliqué qu’une croissance de 3% signifie que l’activité économique double en 23 ans(24). À 10%, il ne lui faut que 7 ans. Nous le savions. Mais Smith va plus loin. Avec une série d’équations, il montre que “chaque doublement successif de période brûle autant de ressources que l’ensemble de tous les précédents doublements de période.” En d’autres mots, si notre économie croît de 3% par an jusque 2030, nous consommerons jusqu’à cette échéance l’équivalent de tout ce que nous avons consumé depuis que l’homme se tient sur ses deux pieds. Ensuite, entre 2030 et 2053, nous devons encore une fois doubler ce total. En lisant l’article, j’ai réalisé pour la première fois contre quoi nous luttions.
Mais je ne suis pas l’avocat du désespoir. Nous devons faire face à un défi aussi pressant que la monté des puissances de l’Axe. Si nous avions alors jeté l’éponge, comme beaucoup sont tentés aujourd’hui, vous liriez cet article en Allemand. Bien que la guerre resta le plus souvent impossible à remporter, quand la volonté politique fut mobilisée, d’étranges et incroyables choses commencèrent à arriver. L’économie des Etats-Unis fut renversée en un quart de tour en 1942 quand les industries civiles se firent militaires(25). L’État pris plus de pouvoir qu’il n’en exerça jamais. Des politiques impossibles devenaient subitement réalisables.
Les vraies questions à Bali ne sont pas technique ou économique. La crise à laquelle nous faisons face requiert une profonde discussion philosophique, une réévaluation de ce que nous sommes et de ce que le progrès comprend. Débattre de ces matières ne fait de nous ni des saints ni des communistes ; cela montre seulement que nous avons compris la science.
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