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Par Cherche l'info
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• Mardi 06/01/2009
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Mots-clés : Agriculture, Consommation
La crise alimentaire est passée « à l’arrière du journal », mais elle n’en reste pas moins présente dans de nombreux pays du monde et l’instabilité du cours des matières premières alimentaires risque de la faire rejaillir à tout moment. Plus que jamais, crise climatique, crise alimentaire et crise des prix sont liées. En effet, la production alimentaire, partout dans le monde, est dépendante des effets du climat et de ses aléas. Les stocks de matières premières, parfois insuffisants à cause de faibles rendements, sont rendus vulnérables au caractère volatil des prix sur le marché et aux spéculations financières. On a beaucoup parlé des biocarburants comme facteur d’aggravation des pénuries de céréales et d’autres cultures alimentaires. Mais a-t-on assez parlé de l’incroyable déséquilibre entre la production alimentaire consacrée aux animaux et celle directement destinée aux personnes ?
Pourra-t-on nourrir 9 milliards d’hommes ?
A l’échelle mondiale, la crise de la production alimentaire est présente partout : envolée des prix des matières premières, émeutes de la faim dans divers pays du Sud, épuisement des sols, pénurie d’eau ou pollution des nappes, expulsions des paysans… Les causes sont évidemment multiples et agissent avec des degrés divers : faiblesse des stocks des matières premières, augmentation des coûts de production liés à l’énergie fossile, indécentes spéculations sur les marchés financiers, accroissement de la demande de pays émergents comme l’Inde, le Brésil ou la Chine, développement des biocarburants qui accroissent les intérêts spéculatifs sur les matières premières, etc.
Par ailleurs, d’autres difficultés émergent comme des problèmes sanitaires difficilement maîtrisables (peste aviaire, fièvre catarrhale…). Au cours des cinquante dernières années, le modèle agricole dominant a certes augmenté sa productivité et répondu à une demande quantitative croissante, mais il a aussi créé des inégalités inacceptables à l’échelle planétaire, détruit des emplois ruraux, contribué à l’épuisement et à la dégradation des ressources naturelles (dont les sols et l’eau) ainsi qu’à une perte menaçante de biodiversité.
Par ailleurs, des problèmes de santé publique surviennent avec ce paradoxe : on mange trop et mal au Nord, avec comme conséquence des maladies de l’alimentation ; et au Sud, les paysans producteurs de nourriture sont les premiers touchés par la famine et par la malnutrition. L’agriculture intensive est aussi pointée du doigt pour sa contribution aux émissions de gaz à effet de serre. Selon la FAO, environ 20% des émissions totales de gaz à effet de serre seraient générés par le secteur agricole, pris dans sa globalité.
La question que chacun se pose aujourd’hui, au Nord comme au Sud, est de savoir comment la Terre va pouvoir nourrir durablement une population mondiale qui risque d’atteindre les 9 milliards d’êtres humains en 2050, et dont les besoins nutritionnels doivent être mieux couverts qu’aujourd’hui - et plus équitablement.
Les réponses classiques à cette question vont dans le sens d’améliorer la productivité des cultures et des élevages, d’augmenter les rendements et les économies d’échelle, et pour ce faire, d’utiliser les voies de la biotechnologie et la mécanisation. Mais elles butent sur les limites de la disponibilité des ressources et la capacité des écosystèmes à se régénérer, déjà observées suite aux premières « révolutions vertes » : l’appauvrissement des sols, la disponibilité de l’eau, la pollution de l’eau, les émissions de gaz à effet de serre et la dépendance aux ressources fossiles.
Cependant, ces obstacles ne semblent pas ébranler certains tenants d’un capitalisme forcené qui estiment que la solution viendra du développement des échanges commerciaux, d’une ouverture totale des marchés et d’une spécialisation des pays en fonction des coûts de production.
Mais d’autres voix se font entendre. Ainsi, l’Evaluation internationale des Sciences et Techniques agricoles au Service du Développement (IAASTD), rapport réalisé avec la contribution de 400 scientifiques mondiaux et rendu public le 15 avril 2008 devant l’Unesco, a souligné l’urgence de changer les règles qui régissent l’agriculture moderne. Les auteurs de ce document préconisent la protection des ressources naturelles et le développement des pratiques « agro-écologiques». Ils insistent sur l’idée qu’il ne s’agit pas tant de produire plus à l’hectare que de produire mieux et de favoriser l’agriculture paysanne et familiale.
Le Délégué spécial des Nations-Unies sur le droit à l’alimentation, Olivier De Schutter, défend dans un récent rapport (10 septembre 2008) le principe de la souveraineté alimentaire et donc la possibilité pour les États de protéger leur agriculture, et en particulier l’agriculture paysanne et la production vivrière. La productivité de l’agriculture vivrière peut d’ailleurs être largement améliorée, justement par le recours aux savoirs traditionnels et à des pratiques agro-sylvo-pastorales adaptées aux écosystèmes, ce qui aurait l’immense avantage de protéger le capital naturel pour l’avenir.
Nous sommes à la croisée des chemins, et le lobbying des grands intérêts industriels fait rage auprès des institutions internationales, pour que le choix « classique » s’impose ou soit imposé, tant au Nord qu’au Sud. Comme toujours, le véritable enjeu est donc moins la quantité de biens produits que le mode de production et la distribution mondiale de ces biens.
L’agriculture et les filières alimentaires doivent faire l’objet d’une régulation internationale qui assure la sécurité alimentaire pour tous et un partage équitable des ressources ainsi que la protection des écosystèmes producteurs. Les règles de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) doivent être revues pour permettre ces nouvelles orientations.
Ce soir, qu’est-ce qu’on mange ?
Et c’est ici qu’il faut intégrer une autre question : celle du contenu de notre alimentation, en tout cas de celle du Nord. Quel modèle alimentaire devons-nous adopter pour qu’il soit accessible à tous les habitants de la Terre, qu’il soit favorable à la santé et préserve les capacités des écosystèmes pour les générations futures ?
C’est ici que surgit la question de la viande.
L’assiette occidentale avec son steak de viande trônant aux côtés des frites et d’une feuille de salade, ou le hamburger incluant un double steak haché entre moutarde et ketchup, ont tendance à devenir un modèle mondial généralisé. Ici en Belgique, nous consommons en moyenne 100 kg de viande par an et par habitant. La demande de viande augmente dans les pays émergents. Si on suit les courbes de l’évolution actuelle, la production de viande devrait doubler d’ici 2050 (de 229 millions T en 2001 à 465 millions de T en 2050 [Source: FAO, 2006, Compassion in World Farming, 2008]).
Cela ne pourrait se faire que par l’élevage intensif. Ce modèle alimentaire basé sur la viande et les produits animaux est insoutenable au vu de la capacité de régénération des ressources naturelles et inacceptable aussi aux yeux de l’équité et du partage des ressources entre le nord et le sud.
Au niveau mondial, aujourd’hui, 70 à 80% des terres agricoles sont affectées au bétail ou à la nourriture du bétail. La plus grande partie de la viande est consommée par les pays riches. Au niveau européen, l’Union étant déficitaire en céréales, oléagineux et protéagineux, ce sont essentiellement des cultures extra-européennes qui nourrissent notre bétail (maïs, soja…). Les productions végétales européennes sont directement concurrencées par ces cultures produites à faible coût et exportées dans des conditions de dumping économique (USA), social ou environnemental (Brésil).
Dans le monde, la majorité des céréales et protéines végétales est cultivée pour nourrir les animaux, alors qu’elles pourraient être consommées directement par l’homme. Ce « détour énergétique » est particulièrement important dans le cas du bœuf où le rapport d’efficience entre une protéine végétale et une protéine végétale est de 1 à 20, en raison de la taille de l’animal, de sa longévité et d’un métabolisme de base élevé. Il est moins important dans le cas de la volaille ou du porc.
Les ressources de la biomasse sont indéniablement détournées au profit d’une minorité. L’élevage constitue une charge écologique importante. Plusieurs types d’impacts environnementaux sont dénoncés :
a) L’argument climatique
Le président du Groupe d’Experts intergouvernemental sur l’Evolution du Climat (GIEC), Rajendra Pachauri venu à Gand en août 2008, y a lancé le slogan « Less heat, less meat ». En effet, 18% des gaz à effet de serre sont émis par la production animale, dont 9% du CO2, 37% du méthane (CH4, ayant 23 fois le potentiel de réchauffement du CO2), 65% du protoxyde d’azote (N2O, 296 fois le potentiel de réchauffement du CO2).
Tout d’abord, les besoins de l’élevage en pâturage ou en céréales et protéagineux ont provoqué d’importantes déforestations dans les pays du Sud au cours des 30 dernières années, ceci non seulement pour leur propre consommation mais surtout pour celle des pays du Nord, vers lesquels étaient exportées soit les céréales et protéines végétales, soit la viande elle-même. La déforestation contribue à 20 % des émissions de gaz à effet de serre en général, et à 36 % des émissions imputées à l’élevage [ Source «Livestock’s long shadow» FAO, Rome, 2006 ].
Reconnaissons dès maintenant qu’il conviendra de distinguer les formes d’élevage qui n’ont pas causé de déforestation récente, c’est à dire qui se nourrissent de pâturages dans les régions anciennement agricoles. Leurs émissions de gaz à effet de serre (GES) en sont fortement diminuées. La deuxième source de GES dans l’élevage est la production de méthane par les ruminants. Elle représente selon les sources de 25 % à quasiment 30 %. Elle représente 86 millions de tonnes de méthane par an. La production de méthane varie avec la digestibilité de la ration alimentaire.
Il est donc intéressant d’étudier le contenu de l’alimentation des bovins dans la perspective de diminuer la production de méthane. Les pratiques de culture mécanisées, l’apport d’engrais et de pesticides, le transport, constituent le reste des émissions dues à l’élevage. Si le secteur agricole veut, comme les autres secteurs, diminuer ses émissions et suivre le rythme demandé par le GIEC pour 2050 (-80 % d’émissions), il ne peut donc éviter de remettre en cause la production de viande et en particulier celle des bovins et les formes d’élevage intensif nourris de cultures industrielles.
b) L’argument environnemental
En dehors des émissions de GES, l’impact environnemental de l’élevage est lié à la consommation d’eau d’une part et à l’équilibre du cycle azoté d’autre part. M. Pachauri a cité le fait que produire un kg de bœuf demande une consommation de 15.500 litres d’eau ; un kg de porc 4.900 litres, un kg de poulet 3.900 litres. Ces chiffres incluent l’eau nécessaire à l’irrigation des cultures fourragères en plus de la consommation de l’animal lui-même. Mais ils sont sans comparaison avec la quantité d’eau nécessaire pour produire un kg de céréales ou de protéines végétales.
L’élevage est responsable de 64 % des émissions d’ammoniac dans l’atmosphère, et d’une partie de la pollution des nappes phréatiques par l’azote et le phosphore. Le cycle de l’azote est perturbé par le fait que de grandes quantités d’azote entrent dans nos pays via les importations de céréales et protéagineux, et deviennent partiellement des déchets (le lisier) qui sont à leur tour incorporés dans les sols avec les excès que l’on sait.
Ceci n’exclut pas que l’on puisse maîtriser ces apports d’azote dans le sol, mais le lisier est loin d’être la meilleure fumure pour assurer la richesse biologique des sols. Le fumier est préférable mais dans le cas d’élevages intensifs, c’est rarement possible. De plus, l’intensité de l’élevage et des cultures qui y sont liées contribue également à la perte de biodiversité, tant via les rejets d’azote que via l’usage des pesticides.
c) L’argument santé
Aujourd’hui, les professionnels de la nutrition et de la santé sont unanimes. Notre pyramide alimentaire doit comporter comme base la consommation de féculents (à base de céréales brutes ou peu raffinées), puis celle de fruits et légumes, puis celle de viande, poisson et produits animaux. Les apports moyens de protéines animales doivent diminuer, pour notre santé autant que pour celle de notre planète.
Or la réalité de notre consommation est toute autre !
Une première constatation concerne le manque de fibres, pourtant indispensables, dans l’assiette observée de la population de 15 ans et plus. Par ailleurs, la consommation de viande dépasse largement les quantités préconisées. La consommation de viande est à l’origine de risques plus élevés de maladies cardiovasculaires, de cancer, de diabète de type 2 et bien sûr d’obésité, en raison des graisses saturées qu’elle contient. Le Fonds mondial de recherche contre le cancer recommande de manger principalement une nourriture végétarienne [ Source: The Lancet, 2007; World Cancer Research Fund, 2007 ].
Dans son livre « Anticancer », le professeur David Servan Schreiber évoque les recherches qui démontrent que les produits issus d’animaux nourris par les fourrages industriels contiennent plus de graisses Omega 6 (susceptibles d’exciter l’apparition de tumeurs) que ceux issus d’animaux nourris à l’herbe. Ceci montre aussi que la qualité nutritionnelle des produits animaux dépend de l’alimentation qu’ils ont reçue. C’est une évidence, mais elle n’attire pas beaucoup d’attention de la part des éleveurs.
La production de viande à grande échelle est aussi susceptible d’être atteinte et de propager des maladies à caractère épidémique ; la prévention du risque d’épizooties est bien développée dans nos pays, mais le coût supporté par la société, en l’occurrence par le budget de l’État, pose question. Ne pourrait-on pas diminuer grandement ce risque en diminuant le caractère intensif de l’élevage ? De même les animaux élevés dans la promiscuité sont fragilisés en cas d’attaque de bactérie et de virus. Les antibiotiques sont de plus en plus utilisés, avec ce que cela comporte comme risque de résistance risque dangereux pour l’homme.
Enfin, la question des farines animales incorporées dans l’alimentation du bétail se repose aujourd’hui. Plus les productions animales sont importantes, plus la question des farines animales et de leur destination finale est lancinante. Interdites dans l’alimentation animale depuis la crise de la vache folle, l’Union européenne s’apprête à les autoriser à nouveau. Des arguments strictement économiques (les farines animales, déchets de l’industrie de la viande, sont des protéines financièrement intéressantes pour les fabricants d’aliments) risquent de supplanter des impératifs de santé publique. C’est évidemment inacceptable.
Au secours, les écolos veulent-ils qu’on devienne végétarien ?!?
Après de tels constats, ne pourrait-on à juste titre demander que le monde entier devienne végétarien ?! Le mouvement végétarien flamand EVA fait des comparaisons très parlantes :
- Monsieur Pachauri, en étant végétarien depuis 10 ans, a économisé 12 tonnes de CO2
- une vache émet 6,5 tonnes de CO2 durant sa vie, c’est autant qu’une Ford fiesta
- un végétarien dans une 4X4 est équivalent à un « omnivore » dans une Toyota prius
- …
C’est ainsi que ce mouvement propose de s’abstenir de viande un jour par semaine, ce qui représente une économie de 170 kg CO2 par personne. Supprimer la viande et/ou les kilomètres en voiture ? Il faut réduire les deux si possible, mais les effets pourraient être équivalents. Et pourtant la question mérite une analyse plus fine. Tant du point de vue de la production que de la consommation, il y a de(s) (bonnes) raisons de ne pas aller jusqu’au radicalisme. Certes le régime végétarien est respectable et parfois souhaitable ; il correspond à certaines habitudes culturelles ; mais il serait regrettable de faire table rase de tout ce que nous apporte l’énergie animale sous toutes ses formes et dans ses composantes sociales et culturelles.
Merci veaux, vaches, cochons, couvées !?
L’élevage des animaux est (presque) vieux comme le monde. Il date de la préhistoire, n’oublions pas que nous avons été d’abord chasseurs, puis agriculteurs et éleveurs. La plupart des peuples ont élevé des troupeaux d’animaux en fonction de leur adaptation aux écosystèmes où ils vivaient, ont bu leur lait et fabriqué de multiples produits à base de ce lait, ont utilisé leur peau ou fourrure pour se vêtir, leurs déchets pour enrichir le sol…
La chair animale est l’aliment le plus haut en valeur, nutritionnelle mais surtout symbolique et culturelle. Faut-il rappeler le sacrifice animal qui entre dans de nombreux rituels primitifs et dont la fonction est bien souvent de remplacer le sacrifice humain ? L’Indien qui parle au bison avant de le tuer et le remercie, les cérémonies accompagnant les chasses ( même encore aujourd’hui !), le don de l’agneau au visiteur chez les plus pauvres des peuples du désert, tout cela montre l’importance pour l’homme de cette énergie qu’il tire de l’animal et en même temps sa proximité avec l’animal ; n’a-t-il pas le même sang ? n’est il pas un compagnon dans la lutte pour la survie que l’homme a mené pendant tant de siècles ?
Lorsque le roi Henry IV veut permettre aux Français de manger une poule au pot tous les dimanches, c’est le début de la prospérité. Les classes supérieures festoyaient avec de la viande et marquaient ainsi leur domination. Tout cela est inscrit dans notre mémoire collective. La viande signifie prospérité, richesse, saveurs et plaisirs partagés. On comprend qu’il ne sera pas question d’y renoncer facilement.
L’élevage a aussi des impacts positifs sur l’environnement : on pense évidemment à la fertilisation des sols obtenue traditionnellement par un mélange des excréments animaux et de déchets végétaux (le fumier), mais la simple présence d’un troupeau sur un pâturage, si elle est bien adaptée, permet le cycle de l’azote et d’éléments minéraux qui vont maintenir la fertilité du sol. Les pâturages, liés à l’élevage, stockent le carbone mieux qu’une terre labourée chaque année, évitent l’érosion des sols, absorbent l’eau et, dans certains cas, sont un refuge de biodiversité.
Que ferait-on sans les troupeaux de montagne pour entretenir les alpages, éviter les avalanches, permettre ces magnifiques floraisons liées justement au pâturage annuel ? Les pratiques agro-pastorales qui ont trouvé un équilibre avec l’écosystème, qui permettent le renouvellement des ressources végétales, ne polluent pas l’eau et enrichissent les sols, peuvent être conservées.
En ce qui concerne les émissions de gaz à effet de serre, « une vache élevée dans un système d’élevage n’impliquant ni déforestation ni dégradation du sol, pollue deux fois moins que la vache FAO » [Johanne Dupuis, dans la revue de la FICOW, 3e trimestre 2008], dit Johanne Dupuis en faisant référence à l’étude de la FAO citée ci-dessus.
L’élevage et la production de viande recouvrent donc 1001 réalités. Certaines sont destructrices, certaines sont très utiles et à préserver. Au niveau de la production, il est clair que c’est le caractère intensif de l’élevage et sa dépendance par rapports à des intrants importés qui ont « cassé » le cycle des matières, et donc la durabilité environnementale du modèle. Ce modèle marche économiquement, mais de moins en moins d’ailleurs, tant qu’il ne paie pas ses coûts cachés, coûts liés à l’énergie fossile, au transport, aux pollutions engendrées. L’élevage intensif a aussi anesthésié la relation entre l’éleveur et l’animal. Chacun ne peut plus fonctionner que comme une machine.
Au niveau de la consommation, le problème est la quantité de viande et de graisses animales consommées, qui représente indéniablement un coût pour la santé publique. Le consommateur est pris dans un paradoxe car il rejette aussi le modèle de l’élevage intensif (quand un élevage s’installe près de chez lui) et ne veut plus voir la mort de l’animal, mais en profite sans arrêt, en cherchant de la viande à bon marché et en renonçant souvent à la qualité plutôt que de changer son menu.
Les bonnes pratiques ?
Les solutions se trouvent donc dans des pratiques agricoles équilibrées d’une part et dans la modération de notre consommation d’autre part. Ayant à peine dit cela, réalisons à quel point cette modération et cet équilibre demandent un changement radical par rapport aux pratiques et tendances d’aujourd’hui. D’abord, parce que nous proposons la réduction de certaines productions industrielles ; le secteur de l’élevage est devenu une industrie aujourd’hui en Belgique et le pouvoir politique le traite comme tel et, comme pour les autres secteurs, vise à le soutenir dans son développement et sa compétitivité. Pour nous, il pose le même dilemme que les industries lourdes : comment éviter de simples délocalisations de la production ? Comment assurer des transitions socialement acceptables pour l’emploi que ce secteur fournit ?
La réponse politique est là. Voici un extrait du programme d’Ecolo de novembre 2008: « l’Union Européenne mais aussi la Région wallonne doivent se donner comme objectif une réorientation des cultures visant la liaison au sol et une indépendance alimentaire accrue. Parallèlement, l’Union doit mettre en œuvre un phasing out pour l’élevage intensif. Au niveau wallon, le critère de la liaison au sol et du frein à l’intensification doivent devenir des paramètres déterminants de la politique.
Plus largement, Ecolo estime que les règles du commerce international de l’OMC doivent être revues de manière à restaurer les équilibres naturels entre la production végétale et la production animale dans le but de :
- éviter l’hyperspécialisation des activités agricoles et de restaurer les complémentarités entre cultures et élevages (lien au sol en amont pour l’alimentation animale et en aval pour la gestion des effluents d’élevage);
- mettre un terme à la distorsion de concurrence due aux productions américaines largement subventionnées, comme le soja, qui arrivent à bas prix sur nos marchés;
- diminuer la dépendance européenne vis-à-vis de l’alimentation animale en mettant en œuvre une politique de production de protéines végétales en Europe et en favorisant les exploitations mixtes élevage-cultures;
- abandonner l’avantage au «moins-disant» autorisé actuellement par l’OMC qui permet le déversement de produits de qualité souvent médiocre sur notre marché (ex : bœuf aux hormones américain, poulet à la javel, OGM dans l’alimentation animale,…).
La réforme de la PAC va jusqu’à présent vers une dérégulation accrue, la suppression des aides liées à la production et des quotas qui limitaient l’offre. Par ailleurs les aides au développement rural et les mesures agro-environnementales seront augmentées. Il est difficile d’en prévoir les conséquences. D’une part, les grands élevages intensifs seront favorisés par leur économie d’échelle et leur mécanisation, mais d’autre part, en fonction du prix de l’énergie, les intrants (engrais, aliments fourragers…) auront des coûts incertains, ce qui rendra les investissements risqués. On peut aussi espérer que des éleveurs se tournent vers des modes d’élevage plus liés au sol et donc plus autonomes par rapport aux importations. C’est cela que nous espérons bien sûr !
Quant à nous, consommateurs, il nous reste à modifier nos habitudes alimentaires, de façon progressive mais décidée. Moins de viande, plus de céréales [Dans nos pays occidentaux, cela signifie notamment de remettre à l’honneur, la place du pain dans l’alimentation, principalement à base de céréales complètes], de fibres, de légumes, mais aussi plus d’imagination, de créativité, de saveurs nouvelles… pour modifier à notre tour les tendances du marché et favoriser une agriculture en harmonie avec la planète.
En ce qui concerne la viande, pourquoi ne pas retrouver le goût et le plaisir de la rareté ? Faire de la viande l’exception qui fait plaisir, le cadeau, le plat de fêtes ? Et quand on décide de manger de la viande, permettons nous alors la qualité, non pas celle liée au luxe d’un magasin, mais celle de la garantie d’origine, celle liée à sa valeur nutritionnelle, à la qualité environnementale de son mode de production. Comme le
propose le mouvement « Slow Food », achetons du « bon, propre et juste », de la viande d’un animal qui a couru, mangé de l’herbe, pu grandir à son aise. Le goût de cette viande est d’ailleurs sans comparaison, par rapport aux viandes industrielles.
Retrouvons si possible le lien avec l’éleveur, soit au travers d’une filière régionale de production, soit directement via des achats groupés à un producteur. Mettons moins de kms dans notre assiette et plus de saveurs et couleurs locales ! Évidemment, dans le quotidien, il nous faut alors apprendre à manger autrement sur base d’une nouvelle gastronomie, rééquilibrée (voir pyramide souhaitable ci-dessus). Celle-ci existe mais doit se déployer grâce à nos chefs cuisiniers, nos écoles d’hôtellerie, le secteur Horeca et via les mouvements citoyens d’éducation permanente et les groupes tels que « Slow Food ».
En Belgique ces derniers mois, les initiatives pullulent ; c’est très intéressant de voir que, tant du côté des syndicats que du monde des entreprises, du côté du secteur Horeca lui même, des ONG et chez les citoyens, de nouveaux mouvements pour une alimentation durable naissent et se relient en réseau. Ils sont tous «léguminophiles » et le plus souvent préconisent l’alimentation bio. N’est-ce pas un potentiel pour la naissance d’une nouvelle génération de producteurs ? J’en suis convaincue et mettrai mon énergie d’écologiste à disposition pour l’encourager.
Thérèse Snoy
www.tsnoy.be
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