Mots-clés : Environnement et éducation
[CORDIS - Date: 2008-09-24]
En 2002, le scientifique britannique David King déclarait audacieusement que le changement climatique représentait pour la civilisation une menace plus grave que le terrorisme (sous-entendant également qu'il était responsable de davantage de décès). La réaction frénétique des médias à cette déclaration a marqué un véritable tournant pour l'actualité, en donnant un sérieux coup de pouce à la visibilité du sujet, ce qui s'évalue très simplement par le nombre d'articles générés dans les journaux au niveau mondial.
Il est peu fréquent de voir des scientifiques faire ce genre de déclaration, commente le docteur Anabela Carvalho, de l'université de Minho au Portugal, lors d'une conférence qui s'est tenue récemment à Paris (France) sur la façon dont les sciences sociales et humaines gèrent la question du changement climatique. Elle explique que bien peu de scientifiques prendraient le risque d'être accusés de déclarations provocatrices qui pourraient par ailleurs ne jamais se confirmer.
Au contraire, le professeur en études sur la communication soutient que les politiciens jouent un plus grand rôle pour déterminer les messages à communiquer au public sur ces défis mondiaux via les médias. Et, dans certains cas, ils utilisent ces problèmes pour faire progresser certains agendas.
«Lorsque l'on étudie l'évolution de la couverture de ces problèmes par la presse, on constate qu'elle coïncide avec les grandes déclarations des grands politiciens», souligne-t-elle. «Les pics apparaissent au moment des sommets internationaux. Tout se passe comme si les hommes politiques modelaient l'actualité publiée par les médias, et par-là même la vision du public.»
L'étude du docteur Carvalho a porté sur l'évolution de la couverture relative aux changements climatiques dans la presse au cours des deux dernières décennies (1988-2008). Dans ce domaine, la recherche qui alimente le débat s'intéresse principalement aux journaux, en partie pour des raisons de commodité (il serait difficile, coûteux et long d'accéder aux archives de la télévision et de la radio) mais aussi en raison de l'influence de la «grande» presse sur les autres médias.
«Si l'on considère le New York Times ou le Guardian, les problèmes et les opinions qu'ils publient vont souvent, disons, 'contaminer' les autres médias, et définir l'actualité ou donner naissance à des débats qui se propagent vers d'autres médias», déclarait-elle à CORDIS Nouvelles lors de la conférence, organisée par la présidence française de l'Union européenne.
L'année 1988 constitue ainsi un jalon important pour la vision publique des changements climatiques, en raison de plusieurs évènements clés, notamment la célèbre présentation du scientifique James Hansen sur le réchauffement planétaire à la Maison Blanche, mais aussi l'intérêt soudain pour ce sujet manifesté par Margaret Thatcher, premier ministre du Royaume-Uni (peut-être motivé par l'intention d'investir dans le nucléaire, ajoute le docteur Carvalho), ou encore l'établissement du GIEC (Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat, IPCC).
Avant 1988, la couverture de ces sujets dans la presse était sporadique, ce qui souligne les relations relativement récentes entre la presse et le public sur le problème du changement climatique. Néanmoins, selon le docteur Carvalho, les recherches ont montré que «les médias sont la principale source d'informations et le principal responsable de la sensibilisation et de l'inquiétude des citoyens concernant l'évolution du climat». Finalement, que représente la notion de changement climatique pour le public?
Une enquête d'opinion Eurobaromètre publiée en 2007 montre que la très grande majorité des citoyens de l'UE s'en inquiètent, 82% étant bien conscients que la façon dont leur pays produit et consomme l'énergie a un impact négatif sur le climat. La même année, une étude portant sur 22000 personnes dans 21 pays (dont la Chine, les États-Unis et d'autres grands responsables des émissions de gaz à effet de serre) révélait que la grande majorité considérait qu'il était nécessaire «d'engager très rapidement des actions de grande envergure».
Le docteur Carvalho explique que les messages dans les médias peuvent adopter deux tons, extrêmes et opposés: un message optimiste, où tout le monde est gagnant (par exemple, le fait de moderniser l'économie pour protéger l'environnement peut créer des emplois grâce aux investissements dans les énergies renouvelables), ou bien un ton clairement pessimiste, qui met l'accent sur les catastrophes et l'apocalypse imminentes. «Pour éviter le scepticisme ou l'apathie du public, il faut trouver un équilibre, surtout si l'on veut rendre le problème plus gérable et plus tangible pour que les gens agissent.»
Le docteur Carvalho souligne que dans les médias américains (mais aussi dans les journaux et les chaînes de TV les plus influents d'autres pays), cette dichotomie dans la présentation des menaces pose problème. Elle oppose en effet les scientifiques et les sceptiques (ceux qui nient les changements climatiques ou pensent qu'ils n'ont pas une origine anthropique), pour présenter ce que certains appellent l'illusion de l'objectivité des médias, qui se traduit en fait par une plus grande confusion.
«Une bonne confrontation fait vendre», déclarait Jon Krosnick de la Stanford University à propos de ce phénomène, lors de sa conférence sur ce que pensent les Américains des changements climatiques. «Les dégâts sont là, et il faudra un certain temps avant de les réparer.»
Bien que les médias américains ne ressentent plus la nécessité de continuer à présenter les choses de cette façon, «l'impact du scepticisme va se ressentir pendant de nombreuses années». Il constate que les divers acteurs conservent l'oreille des médias et publient des livres.
En conclusion, le docteur Carvalho demandait aux journalistes d'être plus critiques et plus analytiques sur les problèmes, en termes d'analyse transsectorielle et d'établissement de relations (dans certains cas, ils présentent des actualités «écologiques» en parallèle à l'annonce de nouvelles autoroutes). Et si les médias assumaient leur rôle de surveillance des performances des entreprises, ceci faciliterait le développement d'un esprit critique au sein du public. «C'est simple: il suffit de poser les bonnes questions!»
Pour de plus amples informations, consulter:
Programme de la conférence: L'homme et la société face aux défis du changement climatique:
http://www.tse-fr.eu/confclimat-pfue/fr/accueil.html