"Vols au dessus dun nid de cocus"
Article original sur "Mille Decibels"
Le Professeur Benoit Gailly, Docteur en Sciences et spécialiste en management, est titulaire de la Chaire Puilaetco au sein de l'IAG à l'Université Catholique de Louvain-La-Neuve. Il nous livre son évaluation de l'actuel plan de dispersion des nuisances de l'aéroport de Zaventem. Selon lui, le dispositif initialement mis en place par le gouvernement fédéral, n'est ni équitable, ni efficace, ni raisonnable. Il en appelle au politique de réviser son approche en se délestant des partis pris, pour laisser place au simple bon sens. Cette analyse du Professeur Gailly a récemment fait l'objet d'un débat d'idée organisé par la Chaire Hoover d'Ethique économique et Sociale à l'UCL.
  La gestion des nuisances dues au trafic aérien de laéroport 
  de Bruxelles National agite le landernau politique depuis plusieurs mois. De 
  plans surréalistes en déclarations politiques sans lendemain, 
  voilà bien un dossier auquel le citoyen ne comprend plus grand chose. 
  
  Ce dossier commence par un paradoxe : les nuisances générées 
  par laéroport nont jamais autant fait parler delles, 
  alors que ces dernières années elles devraient avoir globalement 
  diminué, notamment suite à la faillite de la Sabena et au retrait 
  des modèles dappareils les plus bruyants. Si la source du problème 
  nest pas en cause, que peut on dire de sa gestion ?
  Deux éléments peuvent expliquer la gestion apparemment chaotique 
  de ce dossier. Tout dabord, à lapproche des élections, 
  de nombreux décideurs et intervenants politiques étaient probablement 
  plus intéressés à montrer quil défendaient 
  les intérêts de leur électorat plutôt que lintérêt 
  général. On a vu ainsi de nombreuses déclarations politiques 
  visant plus à blâmer dautres partis (cest de la faute 
  de X) que proposer des solutions concrètes.
  Dautre part, les différentes versions du « Plan Anciaux » 
  ont été basées, suite à une interprétation 
  particulière de larrêt « Noordrand » du 10 juin 
  2003 (qui a été cassé depuis), sur un critère arbitraire 
  de dispersion des nuisances, qui nest ni équitable, ni efficace, 
  ni raisonnable : il consiste à diviser la région autour de Zaventem 
  en 6 zones géographiques (une de part et dautre de chaque piste) 
  et de considérer simplement que le plan optimal est celui où chaque 
  zone reçoit la même « dose » de nuisance.
  Cette approche nest pas équitable, car elle ne tient pas compte 
  du nombre de personnes touchées et de la situation existant auparavant. 
  Un avion qui survole 50.000 personnes ne crée pas une nuisance équivalente 
  au même avion survolant 1000 personnes. De plus, modifier une situation 
  existante (par exemple à lEst de Bruxelles où le nombre 
  datterrissages nocturnes a été multiplié par 20 depuis 
  2000) porte préjudice aux habitants des zones auparavant préservées, 
  qui sy sont installés sans être informés des nuisances 
  futures et en payant donc le prix fort. Acheter une maison à coté 
  dune discothèque, cest une chose
 voir une discothèque 
  venir sinstaller à coté de chez vous, cen est une 
  autre
  Cette approche nest pas efficace, car elle mène à une augmentation 
  du volume total de nuisances, les configurations de vols les moins bruyantes 
  nétant pas exploitées au mieux. Ceci est contraire à 
  lintérêt général, car cela accroît le 
  préjudice causé par laéroport à la population, 
  et cela conduit à accroître les coûts des programmes disolation 
  (en augmentant le nombres de maisons touchées).
  Finalement cette approche nest pas raisonnable, car elle mène à 
  adopter des procédures de décollage et datterrissage qui 
  sont peu compatibles avec les conditions météorologiques (vents 
  dominants) et les contraintes de pilotages des avions. Ce serait dommage quil 
  faille attendre un accident pour que lon sen rende compte
  En bref, cest minimiser les nuisances et le préjudice quelles 
  causent à la population qui devrait être lobjectif du gouvernement, 
  pas de les éparpiller. Imaginez si on appliquait la même logique 
  aux déchets nucléaires, ou au transport routier
  Les principes à mettre en uvre pour une politique responsable des 
  nuisances dues au trafic aérien de laéroport de Bruxelles 
  National relèvent du bon sens et du droit :
  - Aucun citoyen, de Bruxelles ou de Flandres, ne doit faire lobjet à 
  cause de laéroport de nuisances excessives pouvant porter atteinte 
  à sa santé (telle que définie par lOMS). En dautres 
  mots, aucun emploi, à DHL ou ailleurs, ne vaut la mise en danger du bien-être 
  des habitants.
  - Toute modification significative des activités de laéroport 
  (et de leurs répercussions sur les habitants) suppose une consultation 
  préalable des populations concernées et une concertation, comme 
  cest lusage pour toute activité économique affectant 
  son voisinage.
  - Le développement de laéroport doit se faire dans loptique 
  dune minimisation du préjudice causé à la population 
  dans son ensemble, et ce préjudice doit être accompagné 
  de mesures compensatoires. 
  Et le dossier DHL ? En suivant les principes mentionnés ci-dessus, la 
  demande dextension des activités de DHL aurait du faire lobjet 
  de la procédure suivante :
  1) Identification de la meilleure configuration (minimisant les nuisances générées 
  par les procédures de vols adoptées) rencontrant les souhaits 
  dextension de DHL.
  2) Evaluation de limpact de cette configuration sur la population et du 
  préjudice causé, et évaluation du coût des mesures 
  compensatoires nécessaires pour préserver la santé de tous 
  les habitants affectés.
  3) Si le coût était tel quil dépassait les retombées 
  économiques positives du développement de DHL, sa demande dextension 
  devait être refusée. Ces retombées économiques devaient 
  être mesurées tenant comptes des risques dune délocalisation 
  future de DHL (qui est possible même si la demande dextension est 
  acceptée) et des alternatives (cet argent ne pourrait-il pas être 
  mieux utilisé ailleurs ?).
  Suite au refus des gouvernements dautoriser une augmentation significative 
  de ses activités nocturnes, DHL a annoncé son attention de développer 
  dès 2008 son « hub » international ailleurs quà 
  Zaventem, sous des cieux moins sensibles aux nuisances (Leipzig). Les implications 
  sur lemploi à Zaventem à court et moyen terme (en particulier 
  par rapport aux pertes demplois qui auraient de toutes façons résultés 
  des évolutions technologiques prévues) seront probablement 
  négatives, mais sans que des estimations sérieuses et objectives 
  ne soient disponibles.
  Si cette décision semble cohérente avec la logique de décision 
  que nous avions préconisée début septembre, le pénible 
  processus qui y a mené a montré combien il était difficile 
  pour les responsables politiques dassumer de tels choix, en particulier 
  quand ils affectent de manière différenciée les populations 
  concernées. Il a aussi montré quavoir un débat serein 
  et objectif est bien difficile quand dautres enjeux (survie du gouvernement 
  fédéral, querelles linguistiques, promesses demploi fantaisistes, 
  etc
) jouent les perturbateurs
 
Benoit Gailly
  Le 16 novembre 2004
 
 
      