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Aménagement du Territoire - Gosselies, gare "terminale"

Par L'informateur • Avions: actualité, bruit et pollution • Jeudi 15/04/2010 • 0 commentaires • Version imprimable

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IEW - Aménagement du Territoire - Gosselies, gare "terminale"
 
par Pierre Courbe

15 avril 2010
 
 Pendant que la Wallonie se fourvoie dans le développement de l’aéroport de Gosselies en lui annexant une gare "aérienne" souterraine, une Haute Cour de Justice anglaise donne raison aux opposants à la construction d’une troisième piste à l’aéroport de Heathrow, aux motifs d’une insuffisante prise en compte des enjeux climatiques. Heureuse décision ici, gabegie là.

Le jeudi premier avril, le Gouvernement wallon décidait d’implanter une gare ferroviaire souterraine sous l’aéroport de Gosselies. Budget prévisionnel : 487 millions d’euros. 19 milliards 645 millions de francs belges ! Poisson d’avril mitonné par des ministres facétieux ? Que nenni, hélas ! Il s’agit de la triste, pathétique, ahurissante, saugrenue, inconséquente réalité. Le premier avril est décidément un jour noir pour Gosselies. En 2004, le Parlement wallon votait en urgence (et sous la dictée du gouvernement) un décret modifiant les heures d’ouverture de l’aéroport pour éviter à Ryanair d’avoir à payer, conformément à une décision de justice intervenue deux jours plus tôt, des amendes en cas d’atterrissage/décollage de nuit (entre 22 heures et 07 heures). Le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif invalidaient donc, de concert, une décision du pouvoir judiciaire pour plaire à un opérateur privé (le transporteur sans lequel il n’y aurait pas de « Brussel South Charleroi Airport »). Aujourd’hui, le pouvoir exécutif investit une somme monumentale pour … pourquoi, au fait ? Pour se conformer à une décision de principe vieille de près de dix ans ? Pour satisfaire un autre opérateur privé (le consortium composé de la société italienne SAVE et du Holding Communal, nouvel actionnaire de la société de gestion de l’aéroport dont certains disent qu’il aurait « exigé » un raccordement ferroviaire) ? Quelle que soit la motivation, cette décision est probablement une des pires qu’un exécutif wallon ait pris depuis des années.

Le ferroviaire au service de l’aérien

Le discours du Gouvernement vante cette sage décision qui permettra d’améliorer l’accessibilité de l’aéroport de Gosselies. Formidable, pensez-donc : une parfaite multi-modalité, fer et air unis pour un développement durable ! Dans les faits, il s’agit bel et bien d’une perversion du système de mobilité, le transport ferroviaire étant mis au service du développement de l’aérien, mode de transport le moins durable que le génie humain ait inventé - si l’on excepte toutefois la navette spatiale. La décision du Gouvernement est d’autant plus dommageable que le réseau ferroviaire wallon nécessite de nombreux investissements. Le monde associatif est particulièrement attentif à ces matières et porte des revendications établies sur des analyses des besoins actuels et futurs. Citons à titre d’exemple la réouverture de la ligne 163 Libramont-Bastogne ou le développement d’une gare IC à Seraing. Après des années d’errements, de suppressions d’arrêts, de gares et de lignes, il est en effet urgent d’améliorer l’offre pour le plus grand nombre afin de créer les conditions d’un important report modal à l’échelle de la Région. Les besoins sont légion. Aussi, la déclaration de politique régionale (DPR) de juillet 2009 indiquait-elle que « le Gouvernement établira un plan de développement de la desserte ferroviaire, en adéquation avec le SDER (schéma de développement de l’espace régional). Ce plan sera établi en 2010 et présidera aux orientations ferroviaires prioritaires. » Il est vrai que la même DPR prévoyait de « construire une nouvelle gare SNCB, selon 2 options à étudier, souterraine ou en surface, à l’aéroport de Charleroi. » Sans attendre, donc, la vision stratégique…

3.800 euros la tonne de CO2 !

Vision stratégique qui, pourtant, est nécessaire à plus d’un titre. Le premier étant sans conteste celui de la nécessaire maîtrise des émissions de gaz à effet de serre d’un secteur qui échappe à tout contrôle. En Belgique, les émissions de l’aviation internationale étaient de 3.096 millions de tonnes équivalent CO2 (MtéqCO2) en 1990 et de 4.106 MtéqCO2 en 2008, soit une augmentation de 33%. Et la « success story » des aéroports wallons n’est pas étrangère à cette situation. Maîtriser les émissions, c’est renverser la vapeur et cesser de soutenir le développement des aéroports.

Vision stratégique qui est également indispensable pour mettre en place des mesures de réduction des émissions de CO2 au moindre coût. Or, un simple calcul conduit qui maîtrise les quatre opérations mathématiques à la conclusion suivante : même dans des hypothèses fort optimistes, la gare ferroviaire de Gosselies permettrait d’épargner au plus 128.000 tonnes de CO2 sur une période de dix ans (soit environ un pour mille des émissions annuelles de la Belgique). Hypothèses fort optimistes en effet :

* une fréquentation de 5 millions de passagers annuels dont 60% [1] (soit trois millions) se rendant à l’aéroport en voiture ;

* une distance moyenne domicile-aéroport de 150 km ;

* un report modal de la voiture vers le train de 25% [2].

Les autres hypothèses à la base du calcul :

* les émissions moyenne d’un train (SNCB) sont de 31 gCO2 par personne et kilomètre (gCO2/p.km) ;

* les émissions moyenne d’une voiture sont 220 gCO2/p.km (moyenne sur le parc, en conditions réelles) ;

* le nombre de passagers par voiture pour se rendre à l’aéroport est de 2,5 (supérieur au taux de remplissage moyen de 1,4 personne par voiture, le covoiturage étant largement utilisé pour se rendre dans un aéroport).

En supposant que le budget estimé (487 millions d’euros) soit respecté, cela représente la bagatelle de 3.800 euros la tonne de CO2 ! Soit environ 250 fois plus que le prix actuel sur le marché d’échanges de quotas. Quand on pense que la « taxe carbone » française fixée à 17 euros la tonne de CO2 a été sacrifiée sur l’autel du développement économique, il y a de quoi s’interroger…

Vision stratégique, enfin, en matière de planning. Le Gouvernement espère une entrée en fonction de la gare de Gosselies en 2019. Le site de l’aéroport mentionne 2020. 2020, date à laquelle les émissions de gaz à effet de serre des pays développés devraient baisser de 25 à 40% selon les recommandations du GIEC. 2020, date à laquelle le pic de production de pétrole sera dépassé, comme viennent de le reconnaître récemment l’Agence de l’énergie US ainsi que l’Agence internationale de l’énergie, le prix du baril s’élevant dès lors vers des sommets toujours plus hauts. Ce qui mettra à mal le secteur aérien pour lequel il n’existe à l’heure actuelle aucune source d’énergie alternative au pétrole qui soit applicable à grande échelle et un tant soit peu crédible. Durable, vous avez dit durable [3] ? .

Et pendant ce temps-là

Cinq jours avant la décision de l’exécutif wallon, le 26 mars, une Haute Cour de Justice anglaise donnait raison aux opposants [4] à la construction d’une troisième piste à l’aéroport de Heathrow (projet porté par le Gouvernement britannique). Les enjeux climatiques, selon la Cour, n’ont pas été suffisamment pris en compte dans le dossier. Le juge Carnwath a, dans son jugement, qualifié « d’intenable » l’argumentation du gouvernement, tout en refusant d’invalider à ce stade la décision (prise en janvier 2009) de construire la troisième piste. Pour lui, le Livre blanc sur le transport aérien (Air Transport White Paper) de 2003, sur lequel se fondent les plans de développement des infrastructures aéroportuaires anglaises, est en conflit avec la Loi Climat (Climate Change Act) de 2009. Il faudrait dès lors revoir la politique aéroportuaire à la lumière des derniers développements en matière de climat.

Gabegie contre harmonie

L’investissement dans la « cathédrale Calatrava » à Liège-Guillemins avait déjà des airs de gâchis d’argent public. A Liège, l’investissement était néanmoins consacré à une gare d’importance pour le réseau ferré wallon. Rien de pareil dans la « gare souterraine aérienne » de Gosselies. Dans moins de vingt ans, on se rendra compte, de manière sûre, qu’il s’agissait là d’une impardonnable gabegie d’argent public qu’une lecture lucide des indicateurs environnementaux et énergétiques aurait permis d’éviter. Las ! Ceux qui – en toute modestie – mènent aujourd’hui cette analyse lucide ne sont guère écoutés. En Région wallonne, l’attitude intransigeante du politique a généré un épuisement progressif (mais heureusement pas total ni définitif !) de la mobilisation citoyenne autour des deux aéroports régionaux (ce qui a permis à d’aucuns de parler d’apaisement des tensions). Au Royaume-Uni, les conditions ont permis aux citoyens d’amplifier leur lutte. Et de trouver aujourd’hui dans le pouvoir judiciaire un écho positif jetant les bases d’une société harmonieuse, où la protection de l’environnement et le bien-être de la société trouveront enfin leur juste place, avant le profit économique à court terme


[1] Selon l’étude CIRIEC de 2006, 38% des voyagers se rendent à l’aéroport en voiture privée et 21% s’y font conduire

[2] Alors que 14% empruntent déjà la navette Bruxelles-Midi-Gosselies et 14% se rendent à l’aéroport en transport en commun, selon la même étude CIRIEC

[3] Sans donner de noms, sans « trahir » des conversations privées, il est utile de mentionner ici que des personnes proches des états-majors des quatre grands partis sont parfaitement conscientes de ces enjeux.

[4] Les opposants : six autorités locales, Campaign to Protect Rural England (CPRE), Greenpeace et le WWF.